Il fut un temps où Musk soutenait publiquement Obama et Hillary, cette dernière en raison de ses objectifs climatiques. Il avoua même avoir voté pour Joe Biden en 2020.
Non seulement Elon Musk a voté pour le 47e Président des États-Unis en 2024, mais il a également participé activement à la campagne de Trump et fait partie d’un nouveau comité chargé de gérer, entre autres, la réduction du budget fédéral.
Musk a dépensé des dizaines de millions pour cette campagne et tweeté quotidiennement pour soutenir le candidat républicain. Pourquoi?
Peut-être qu’en étudiant la personnalité de Musk, on pourra se faire une première idée.
Trump comme Musk sont devenus riches et célèbres dès leur jeunesse. Et après avoir regardé le film The Apprentice , retraçant l’ascension de Trump, je ne peux m’empêcher de constater de nombreuses similitudes au sein de ce nouveau couple détonnant que rien, sauf leur ego débordant, ne semble vouloir séparer.
En 2002, à seulement 30 ans, Musk empoche 180 millions d’euros grâce à la vente de PayPal. Il réinvestit ses gains dans sa nouvelle compagnie : SpaceX. Il constitue alors un véritable empire avec de nombreuses entreprises telles que Tesla (voitures électriques à vocation autonome), The Boring Company (creusant des tunnels pour fluidifier le trafic), Neuralink (développant des implants électroniques cérébraux pour augmenter les capacités humaines), Hyperloop (train pouvant aller jusqu’à 1 200 km/h dans un tunnel) et OpenAI (qu’il a quittée mais dont il est cofondateur, entreprise développant des IA comme ChatGPT). Ces réussites font de lui une personnalité publique influente, admirée et controversée.
D’après l’auteur et biographe Walter Isaacson, qui a notamment été directeur de la rédaction du Time et PDG de CNN, ces exploits sont tous liés par une méthode bien spécifique. Quatre règles ressortent :
Or, si ces qualités peuvent mener à la gloire et au sommet de l’échelle sociale, elles peuvent aussi conduire à une absence de scrupules.
Ainsi, dès lors que Musk est convaincu par une idée, il ne renoncera à rien tant que le succès n’est pas garanti. Et cela se retrouve dans son combat pour la liberté d’expression. En 2022, il commence à racheter des parts de Twitter et, à 9 % du capital, il peut entrer au conseil d’administration. Problème : il est persuadé que Twitter fait fausse route : les grands comptes ne postent pas assez et les règles de modération sont trop strictes. Il finira par racheter la plateforme. Il annonce alors que la liberté d’expression est essentielle pour la démocratie et que libérer Twitter l’est tout autant, selon lui.
Il lance donc Twitter Blue : la certification devient payante. La symbolique est forte : paraître digne de confiance s’achète, la vérité se monnaie.
Il rétablit de nombreux comptes supprimés, dont celui de Donald Trump, banni pour répétition de mésinformations.
Sa détermination à défendre la liberté d’expression rencontre cependant une limite : son ego. Il n’hésite pas à manipuler l’algorithme pour mettre en avant ses propres tweets après une « humiliation » par Joe Biden lors du Super Bowl (20 M de vues contre 8 M). Le mal est fait : l’algorithme est devenu manipulable et soumis au bon vouloir de Musk. Et ce n’est pas seulement son image que Musk défend grâce à ce pouvoir, mais aussi ses propres convictions, par exemple sa lutte contre l’idéologie woke , jugée anti- méritocratique et contraire à la liberté d’expression.
La première fois que les deux hommes se retrouvent véritablement en accord, c’est lors de la crise du Covid. Musk est également peu enclin à respecter les normes sanitaires, estimant qu’elles constituent un grave danger pour ses nombreuses entreprises. Idem pour les taxes et autres réglementations... Avis que partage Trump. Les contraintes sont associées aux démocrates progressistes, tandis que Donald Trump incarne le défenseur de la liberté absolue.
Musk enclenche alors la machine de propagande de X, en publiant pendant le dernier mois de la campagne présidentielle 3 247 tweets pour exprimer son soutien à DT (contre 278 seulement en 2020). Enfin, Musk a organisé une loterie, offrant la chance de gagner 1 million d’euros à condition d’être inscrit sur les listes électorales et de signer la pétition très conservatrice de l’« America Pack », défendant notamment le port d’armes.
Au total, Musk aura versé 75 millions de dollars pendant la campagne, 1 million par jour pendant 18 jours, et aura finalement promis 47 dollars à toute personne convainquant un électeur d’un swing state de signer la pétition. Sur le plan légal, on flirte avec le vide
juridique. Il est en effet illégal de payer quelqu’un pour qu’il vote pour un candidat en particulier... mais rémunérer la signature d’une pétition défendant les valeurs dudit candidat? Musk a été averti par le ministère de la Justice, mais après examen du procureur de Pennsylvanie, la justice a tranché : Elon restait dans les clous. Toutefois, la brèche est désormais bien visible, aussi bien pour ceux qui redoutent ces abus de pouvoir que pour ceux qui envisageraient de s’en servir.
Cette tendance à jouer avec les limites du légal ou du moralement acceptable, Musk la cultive encore. Son geste, jugé par certains historiens comme un salut nazi, lors de l’investiture de Trump, a fait couler beaucoup d’encre, en particulier sur la terre de feu le Führer. Quel qu’ait été son état d’esprit, le rapprochement avec l’extrême droite ( alt- right ) américaine ou allemande semble évident pour certains.
La liberté d’interprétation, donc. D’un côté de l’échiquier, les pro-démocrates peuvent débattre de la nature de ce salut, de l’intention réelle de Musk, ou encore de la ligne séparant nazisme et fascisme, pour y situer le patron de Tesla. Au fond, tant que l’extrême droite y voit la preuve d’un soutien intangible de Musk — comme l’a bien souligné Andrew Torba, fondateur du réseau social d’extrême droite Gab —, cela ne sert à rien d’épiloguer. Peu importe la manière dont ils placent leurs pièces sur leur propre plateau de jeu, ils sont les seuls à y jouer.
Les médias qui ont relayé les louanges de Trump et vanté ses bienfaits, qu’ils soient économiques ou idéologiques, ne sont pas les médias traditionnels. Ce sont des TikToks de jeunes enjoués, des docteurs sceptiques sur le vaccin qui prospèrent en l’absence de règles strictes, des réseaux de Latinos conservateurs ou d’évangélistes qui ne croient plus aux dires des médias classiques. Ceux qui passent encore à la
télévision, où des fact-checkers et des experts travaillent parfois, ne touchent plus ce public.
Ainsi, chacun s’exprime dans le vide, dans un entre-soi stérile.
Quelles que soient ses convictions idéologiques, est-il légitime de craindre le patron de X? Assurément, l’influence d’un chef d’entreprise sur le gouvernement fédéral, dans le pays le plus puissant du monde, soulève des inquiétudes. En réalité, l’« écosystème Musk » ne représente qu’environ 2 % de la capitalisation boursière américaine, et chacune de ses sociétés (Tesla, SpaceX, X/Twitter, xAI) détient généralement moins de 30 % des parts de ses marchés respectifs. C’est bien loin du degré de domination qu’exerçaient jadis des magnats tels que Rockefeller ou J.P. Morgan. Néanmoins, The Economist souligne que 10 % de la fortune personnelle de Musk (estimée à 360 milliards de dollars) proviennent de contrats et d’aides publiques américaines, 15 % de la Chine ; le reste se répartissant entre clients nationaux et internationaux.
En d’autres termes, Musk n’est pas un monarque économique incontestable : il n’a pas le quasi-monopole de ses prédécesseurs illustres. Toutefois, son influence politique pourrait tenir à deux facteurs : son accès direct à l’opinion publique (notamment via X) et la dépendance mutuelle avec l’État. L’administration Trump, désireuse de promouvoir de grands projets (infrastructures souterraines, conquête spatiale), dépend de l’expertise de Musk, lequel se montre sensible à la flatterie présidentielle et aux financements fédéraux. Cette relation ouvre la porte à de potentiels conflits d’intérêts et accroît le risque de corruption : la frontière entre intérêt public et intérêts privés tend à se brouiller lorsque des décisions stratégiques ou budgétaires se prennent dans un cercle restreint (Trump, Musk et quelques conseillers).
S’il est sain de débattre de la nécessité de rénover les rouages du pouvoir américain, qui semblent quelque peu rouillés, toute initiative n’est pas bonne à prendre. Or, Musk n’est pas un politicien réfléchi de nature. Son DOGE, la nouvelle branche du gouvernement chargée de réduire les dépenses, est loin de convaincre l’ensemble du Parti républicain. Certains, plus conservateurs sur le plan budgétaire, s’inquiètent des sommes prévues pour financer ces immenses projets, qu’il s’agisse de tunnels ou de lanceurs spatiaux. Musk plaide en effet pour une forme d’« industrial policy » — une politique industrielle dirigiste — que l’aile libérale-classique du Parti, attachée au libre marché, juge hétérodoxe.
De plus, les ambitions spatiales et les technologies de rupture, chères à Musk, pourraient alimenter une concurrence accrue avec la Chine et l’Europe. Le
gouvernement Trump pourrait alors durcir la guerre commerciale, en imposant barrières douanières et restrictions à l’exportation, au risque d’isoler les États-Unis de leurs partenaires traditionnels. À long terme, un tel isolement pourrait coûter cher en termes de relations internationales et d’innovation partagée.
En définitive, même si Musk n’occupe pas une position de monopole, sa capacité à « disrupter » des secteurs entiers, associée à la dimension très personnelle de sa relation avec l’administration Trump, soulève d’importantes questions sur l’équilibre des pouvoirs, le rôle de la puissance publique et la transparence au sommet de l’État.